lundi 26 janvier 2009

Vilain Canard, journalistes vendus... Vive les blogs ?

A un âge où on commence à se poser des questions sur son avenir professionnel et qu'on a mis un trait sur ses ambitions de devenir un jour dompteur ou agent secret (quoi qu'il y en a qui vont au bout de leurs rêves...) je m'imaginais Tintin reporter au Canard Enchaîné.

Découvert chez une tante anar', je l'ai dévoré à chacune de mes visites du mercredi, où je venais prendre des cours d'anglais en plus de sensibilisation gauchiste. Je parcourais ainsi l'hebdo satirique, m'enivrant de l'odeur du papier encré, plié de rire devant les dessins de Kerleroux, me chauffant les méninges sur l'Album de la Comtesse, mais aussi tentant de comprendre le fin mot de certaines histoires de politicards véreux.

Voilà, c'est dit, c'est grâce à (à cause de ?) cette tata que j'ai décidé de devenir "journaleux" et que je me suis fixé comme but professionnel ultime de devenir une des plumes du Canard.

Or, pas de bol, c'est comme ça - ou presque - que ma vie pro a débutée ! En effet, pour mettre un terme à mes longues et houleuses études, j'ai passé 6 bons mois au sein du Canard Enchaîné pour y faire ma thèse.

Aussi quand "Le vrai Canard" de Karl Laske et Laurent Valdiguié est sorti, je me suis promis de le lire. Bon ça a pris le temps, parce que j'avais à la fois la folle envie de découvrir ce que la Canard pouvait cacher, et en même temps cela m'inquiétait tout autant. C 'est aujourd'hui chose faite, j'ai lu le bouquin, et autant dire que mon sentiment est plus que mitigé.



Tout d'abord parce que lorsqu'on a été totalement subjugué pendant des années on ne peut supporter totalement que l'on s'attaque à la source du charme. C'est ce que j'appellerai la subjectivité humaine...

Ensuite, plus objectivement, parce que l'ouvrage en question ne me semble pas toujours très objectif, voir sensiblement manipulateur. Voici quelques points qui m'ont particulièrement dérangé:

Ah l'éternel rengaine sur les "collabos" de la seconde guerre mondiale ! Ah bon, les journalistes du Canard ont été pour nombre d'entre eux des plumes engagées au service de la presse collaborationniste, voir au service de Vichy ? Et alors ? Quelle importance pour le Canard aujourd'hui ? A l'inverse, le Maréchal Pétain ne fut-il pas le héros de la France avant de devenir simplement "Pétain" ?

Pire peut-être, le passage sur le père de Michel Gaillard, accusé de collaboration (avant d'être blanchi par la justice). Certes Robert Gaillard a peut-être été un des financiers du Canard. Comme Edouard de Rotschild est au capital de Libération et Lagardère à celui de Paris-Match. Peut-on pour autant soupçonner le quotidien d'être à la solde de la noblesse ? L'hebdomadaire des salons de coiffure vendeur d'armes ? Vraiment limite ces allusions...

Même topo lorsqu'il s'agit du passé communiste d'Angeli, Brimo et autres. Et alors, avoir été communiste c'est mal ? Pire, c'est un mal incurable ? Et bien sûr, pour faire peur au bon Français, il fallait bien écrire qu'il y a certainement eu des Francs-Maçons dans la rédaction du palmipède... Mon dieu mais quelle horreur !

Le Canard Enchaîné est très riche et ses journalistes sont très bien payés ? Oui et alors ? Le droit de critique et de satire n'est autorisé qu'aux pauvres ? Les journalistes de Libé et de Match qui ont fait des articles sur les dérives financières et les magouilles politiques sont tous des smicards habitant des barres HLM de banlieue ? J'ai comme un doute...

Les journalistes du Canard sont très proches de politiques qui leur filent les infos pour la célèbre page 2 ? Bien sûr ! Et heureusement d'ailleurs, sinon nombre d'infos ne sortiraient jamais. Je n'ai jamais joué les OSS117 ni les James Bond pour obtenir des infos pour certains de mes papiers. La plupart des infos un peu chaudes ont bien souvent pour origine des "balances". Rien de bien révélateur ici non plus.

Dans le passage sur la mitterandolâtrie du Canard, certains arguments sont assez tordus. Du moins dans leur formulation. Les auteurs balancent des extraits d'articles, des témoignages d'anciens journalistes, qu'ils assènent dans un style qui en dit long sur leur intention. Non pas de nuire comme certains le pensent, mais plutôt de justification évidente pour ne laisser aucune place au doute. La preuve la plus flagrante de ce procédé est le bilan judiciaire de l'affaire des HLM de Paris qui "n'accouchera que d'une souris judiciaire. Sur les 49 personnes renvoyées devant le tribunal , 11 ont été relaxées, en juillet 2006, et 38 ont été condamnées à des peines allant de 6 mois à 2 ans avec sursis."... et de conclure "Beaucoup de bruit pour rien ?". Combien de papiers sont sortis dans Libé pour des affaires mineures qui ont aboutis à du sursis ?

Assez petit aussi le passage sur les chroniques "culture" du Canard, pour lesquelles Jacques Lamalle se spécialiserait dans les "beaux livres", ouvrages bien chers. Avec énumération des critiques et du prix correspondant aux différents ouvrages traités. J'ai eu pour ma part l'occasion de réaliser des critiques sur des beaux livres et ces derniers m'étaient seulement prêtés par les éditeurs. En était-il de même pour Lamalle je n'en sais rien, pas plus que j'ai la preuve qu'il a aujourd'hui les bouquins dans sa bibliothèque.

Lors de mon passage au Canard, j'ai été pris sous l'aile de personnages exceptionnels que sont Roger Fressoz et Gabriel Macé. Le temps qu'ils m'ont consacré à l'époque fut plus que généreux compte tenu de leurs responsabilités. J'ai eu également la chance de passer pas mal de temps avec Jacques Lamalle, mais également Jean Avran et Cabu qui a même réalisé la page de couverture de ma thèse. J'ai beaucoup appris auprès d'eux et ne peux que les remercier encore aujourd’hui d'avoir ne serait-ce que répondu à mes questions.

D'un autre côté, c'est vrai, les contacts avec l'équipe d'Angeli furent nettement moins bons, car nettement moins nombreux et bien moins sollicités de mon côté. A l'époque j'avais même été interviewé par un éphémère hebdo satirique sur les médias, "Revue de Presse". Je me souviens avoir dis que je ne sentais pas Angeli et son équipe... Un sentiment exacerbé par le souvenir de Macé, qui, passant devant un bureau d'enquêteur sur lequel trônait une bouteille d'eau de Vichy déclara ironique: "Tu vois petit, ça de mon temps c'était prohibé ! Les temps sont en train de changer..."

C'est sans équivoque une réalité. Le Canard d'aujourd'hui n'est plus celui de mon adolescence. D'ailleurs cela fait bien longtemps que je n'ai plus mon abonnement...

Oui le Canard brille moins, mais il n'en demeure pas moins indispensable dans le paysage journalistico-médiatique français.

Bien sûr que cela m'a fait mal de relire les dérives du traitement de certaines affaires sous le pouvoir socialiste, mais je le savais déjà, j'étais au Canard en 1988... De plus cela a été compris par un bon nombre de personnes puisque sous les deux septennats de Mitterrand l'hebdo a connu la pire chute de ses ventes !

Il y a bien quelques petites infos dans ce bouquin qui m'ont appris de nouvelles choses et pas forcément brillantes. Notamment dans le domaine social avec le Canard qui n'aime pas les syndicats dans la maison, qui n'a semble-t-il pas toujours été très clean avec ses salariés.

Lors de ma présence à l'hebdo pour la réalisation de ma thèse, rien de tout cela ne m'est apparu. Il y avait certes comme une "fracture" sensible entre le monde des enquêteurs et celui des dessinateurs ainsi qu'avec les "vieux" éditorialistes comme Macé ou Fressoz. Mais pas une sale ambiance. Au contraire, le mardi au moment du bouclage à Typo Elysée c'était fort convivial autour du pot de midi...

Ainsi, si "Le vrai Canard" de Karl Laske et Laurent Valdiguié n'est certainement pas une incongruité, il n'en demeure pas moins, à mon avis, une vilaine attaque un peu gratuite contre l'hebdo satirique paraissant le mercredi. Si l'enquête a certainement été rondement menée, son ton est trop orienté et les arguments trop grossiers pour passer. Qui plus est, l'ouvrage n'apporte pas grand chose de plus que l'on savait déjà en fait. Enfin était-ce le bon moment de taper un peu plus sur la presse ?

Car actuellement les éditeurs de presse sont au taquet. Les ventes de journaux n'ont jamais été aussi basses, leurs sites internet ne rentrent pas suffisamment d'argent pour combler le déficit papier et c'est ainsi que le gouvernement a jugé bon d'organiser des états généraux de la presse écrite.

Dans le même temps, TNS Sofres / Logica a publié son Baromètre de confiance dans les média pour le quotidien La Croix. Et là le verdict est sans appel, les journalistes ne sont pas bien vus... Ces braves gens ne seraient pas indépendants aux pressions des partis politiques et du pouvoir selon 61% des sondés (+5%), et dans le même taux de progression aux pressions de l'argent pour 59% des sondés !

Enfin, si on lit un récent billet de CSP sur Duhamel en particulier et les journalistes plus généralement, c'est un peu flippant. J'apprécie vraiment la prose saignante de CSP, mais je trouve qu'en ce moment le tir aux journaleux est un peu trop à la mode et trop facile dans la blogosphère.

Oui les journalistes ne sont pas toujours très objectifs. Oui les blogueurs sont là pour remettre de l'ordre et parfois lever des lièvres. Mais n'oublions pas qu'ils ne restent (à preuve du contraire) que des "commentateurs" de l'information. Celle que seuls les journalistes sont capables d'aller chercher, vérifier et restituer (plus ou moins objectivement je l'accorde), car c'est, quoiqu'on en dise leur vrai métier.

Oui mon passé de journaliste me rend sans doute un peu corporatiste, mais j'ai au moins cela de plus que nombre de blogueurs et autres vilipendeurs de presse. J'ai baigné dedans pendant plus de 15 ans ;-)

C'est sans doute aussi pour cela que "Le vrai Canard" ne m'a pas vraiment plu...


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